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Pour ou contre les restants?
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Par Vas-tu finir ton assiette
Il y a ceux qui répètent sans cesse « tu vas voir, c’est encore meilleur le lendemain » même pour des choses qui ne sont pas si bonnes aujourd'hui, et il y a ceux qui essaient activement de se faire pousser un deuxième estomac pour ne jamais avoir à utiliser un micro-ondes.
Qui a raison dans le débat des restants, aussi éternel que le rôti de porc au congélateur depuis la nuit des temps, bien à l'abri dans son sarcophage de givre ? Pour le savoir, Recettes d’ici a invité deux éminents spécialistes du « oups, j’en ai fait pour 10 et on est juste deux ». Du côté de ceux qui n’aiment pas les reprises, dans leur assiette comme à la télé, Mathieu Charlebois. Et dans le coin qui en fait toujours trop, en cuisine comme dans la vraie vie, Caroline Décoste.
Ils s’affrontent ce soir dans l’arène d’un Tupperware dont on cherche toujours le couvercle assorti. Chaque pugiliste aura droit à deux arguments, que son opposant pourra interrompre pour un droit de réplique éclair. Ding, ding, ding, c’est parti !
CAROLINE, POUR : GARDER SA MAIN POUR DEMAIN
On le répète (parce que c’est vrai) : la nature nous a donné deux mains, l’une à déguster aujourd’hui et l’autre à savourer en lunch. L’évolution a fait en sorte de nous donner des restants ! C'est la vie qui veut que tout soit meilleur le lendemain : le ragoût réchauffé, la soupe, la veille de Noël, 5 $ trouvés dans un manteau.
« J’espère que cet argument-là aussi va être meilleur demain, parce qu’aujourd’hui, Darwin virevolte dans sa tombe. » – Mathieu
Le romantisme est-il mort même dans l’assiette, où on swipe chaque repas, pour vivre avec lui un rendez-vous sans lendemain ?
Moi, je suis de celles qui ont des étoiles dans les yeux et sept portions de pâté chinois dans le frigo devant lesquelles saliver en pensant au fait que les saveurs auront eu le temps de faire connaissance, de danser un slow, de se marier et d’aller en lune de miel et que, pour plusieurs jours encore, elles étaleront leur amour sur mes papilles ébahies.
MATHIEU, CONTRE : DES RESTANTS DE TRAUMATISMES
Si pour vous l’enfance est synonyme de petits plats de grands-mères produits pour l’équivalent de la population de Trois-Rivières et qu’on décongèle pour se rappeler l’époque où le temps était bon, tant mieux. Ce ne fut pas mon expérience. En gros, et au risque de me faire déshériter, la cuisine de ma mère ne méritait pas un rappel, et parfois, même le programme principal aurait mérité de figurer en première partie puis de sombrer dans l’oubli.
« Si ma mère était La Chicane, son mac and cheese serait « Juste pour voir le monde ». Tout un rappel ! » – Caroline
Je sais que je ne suis pas le seul dont la jeunesse fut ponctuée d’un traumatisme après l’autre de restants de brocolis tièdes dans un thermos fluo qui sentait toujours un peu humide. Nous, les traumatisés du lunch, souffrons en silence, douloureusement conscients que les paroles s’envolent, mais les traces de spagat dans le plat à lunch restent.
CAROLINE, POUR : RÉCHAUFFER DES RESTES POUR (JUSTE UN PEU) MOINS RÉCHAUFFER LA PLANÈTE
Alors que l’air du temps est à la réutilisation et à l’antigaspillage (ce texte est d’ailleurs écrit sur une machine à écrire de 1920 patentée sur le wi-fi grâce à des bouts de ficelle récupérés de mes bottes de kale), le recyclage de repas n’est-il pas un geste généreux ? Manger de la lasagne une deuxième, puis une troisième fois, c'est comme profiter de la signature des papiers de divorce chez le notaire pour apporter ta robe de mariage à la friperie.. Ça réchauffe le cœur, comme le micro-ondes réchauffe la lasagne.
« Brûlant tout le tour, pis tiède au milieu ? » – Mathieu
Personnellement, j’aime penser qu’en déjeunant avec ma neuvième portion de tofu au beurre en deux jours, je fais un petit geste pour la planète.
MATHIEU, CONTRE : LES 4 R, C’EST RÉDUIRE… PIS TROIS AUTRES AFFAIRES
Nourrir son compost parce qu'on a vu trop grand au souper, ce n’est pas entièrement du gaspillage, c’est aussi [lève un bébé lion dans les airs] le cycle de la vie.
Sinon, le truc pour éviter d’en jeter, c’est - prenez des notes - en cuisiner juste la bonne quantité. Faire ton macaroni gratiné dans un plat grand comme un lit King quand tu habites seul avec sept chats et te vanter de manger tes restants, c’est du « zéro gaspi » performatif.
« En même temps… si je ne mets pas mes restants sur Instagram, ont-ils vraiment existé ? » – Caroline
LE VERDICT
En cuisiner un p’tit peu trop, c’est comme répondre « toi aussi » à la serveuse qui te dit « bon appétit », puis avoir envie de t’étendre sur le bar à pain pour griller ta honte : c’est naturel et ça arrive à tout le monde.
Heureusement, plein de recettes existent pour transformer le poulet de 8 kilos que tu as cuisiné pour ton dîner en un tout nouveau plat. Recuisiner tes restants, c’est éviter le piège du repas qui se répète, et sortir du cycle infernal du « encore ça ? ». C’est le restant, mais mieux.
QUI SONT CAROLINE ET MATHIEU ?
Quand ils ne se battent pas virtuellement à coups de mitaines de four, ces lurons aussi gais et moelleux que le pain coécrivent le blogue humoristicoalimentaire Vas-tu finir ton assiette. Quand, à l’épicerie, vous vous demandez « mais qui peut bien acheter cette cochonnerie ? », la réponse est invariablement « Caroline et Mathieu ». Ils y goûtent, ils en rient.