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Cuisiner avec des mauvaises herbes, vraiment?
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On nous a toujours dit qu’il fallait se tenir loin des mauvaises herbes. Confidence sur le pouce: c’est pas tout à fait vrai. On a même accompagné le chef maraîcher Dominic Labelle à la chasse aux pissenlits, à la petite oseille et à la renouée du Japon. Notre verdict? Les mauvaises herbes ne font pas juste rendre nos assiettes cutes, elles y ajoutent aussi beaucoup de saveur.
Dominic Labelle est chef propriétaire et agriculteur chez Parcelles, une ferme maraîchère et une table champêtre juchée sur une magnifique terre à Austin dans les Cantons de l’Est. La bouffe, les légumes et la terre, il connaît ça.
Une terre riche de bonnes ET de mauvaises herbes
Depuis trois ans maintenant, Dominic et son équipe de jardiniers-maraîchers cultivent des légumes bio, des variétés rares ou ancestrales, qu’ils livrent ensuite aux restaurateurs de la grande ville (lire : Montréal). Par chance, Dominic en garde aussi pour les centaines de personnes qui s’arrachent une place pour déguster leur pizza au four à bois chaque week-end de l’été. Mais pas n’importe quelle pizza. Celle sur laquelle Dominic ajoute de mauvaises herbes! Oui oui, des mauvaises herbes dans une des meilleures tables champêtres au Québec. Rien de moins.
La mauvaise herbe. On l'aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie…?
Dominic est tombé en amour avec les mauvaises herbes dès sa première année comme aspirant maraîcher. À l’époque, la petite oseille lui pourrissait l’existence. « Sachant qu’elle était comestible, et pas plus fou qu’un autre, je me suis mis à la désherber, pour ensuite la vendre à mes collègues du milieu qui l’utilisaient en garniture de salade. Mine de rien, cette “mauvaise” herbe a représenté près de 10 % de mon chiffre d’affaires pendant ma première année de jardinier-maraîcher-chasseur [de mauvaises herbes]. »
Dominic voit aujourd’hui les mauvaises herbes comme un bien précieux assez rare. Et il n’est pas le seul. Le mot commence à s’ébruiter dans l’univers maraîcher. C’est d'ailleurs parce qu’on les aime de plus en plus qu'on les a rebaptisées les « herbes sauvages ». Comme quoi, tout est dans la façon de voir les choses. Preuve à l’appui, Dominic a volontairement planté de la petite oseille (celle qui lui pourrissait l’existence!) dans son tout nouveau jardin cette année. Ses herbes sauvages préférées du moment? Les feuilles de pissenlit, la petite oseille (encore elle!), le pourpier, la renouée du Japon, le mélilot, la matricaire odorante… la liste est longue. En plus, elles sont faciles à trouver.
Le Québec est la maison d’une flore comestible tout aussi savoureuse que surprenante. En baissant les yeux un peu, on se rend vite compte qu’on a accès à des centaines de variétés de plantes qu’on a appris dès notre plus jeune âge à arracher et à craindre parce qu’elles étaient « nuisibles » pour nos pelouses bien vertes et parfaites. Ces herbes ne demandent qu’à être connues, aimées et cuisinées de l’apéro au dessert.
C’est bien beau, mais avec quoi on mange ça?
« Une fois qu’on sait les reconnaître et qu’on sait ce qu’elles goûtent, c’est super facile de les intégrer dans nos recettes. » Heureusement pour nous, ce ne sont pas les idées qui manquent à Dominic pour transformer ces herbes à la mauvaise réputation. Un incontournable au menu de Parcelles : la pizza blanche aux feuilles dentées de pissenlits et au Pont Blanc fondant. Si votre gazon est parsemé de ces fleurs jaunes démonisées, on vous conseille chaudement de préparer une délicieuse salade de feuilles de pissenlits avec une sauce ranch faite à base de crème sûre.
Pour sortir des sentiers battus, Dominic propose une frittata à la crème fraîche, au fromage à pâte ferme et aux chénopodes. Euh, pardon, chéno-quoi? Aussi appelé « chou gras » en bon québ, le chénopode (prononcé ké-no-pod), c’est un peu comme un proche cousin de l’épinard. Abondante, extrêmement nutritive et facile à cueillir, cette plante est encore plus facile à cultiver que les épinards. On peut aussi en faire tomber dans son omelette avec du lait et du fromage, question d’apporter une p’tite twist fun à ses lunchs express de semaine.
Avis aux dents sucrées : les herbes sauvages et locales sont parfaites pour rehausser ses desserts. Par exemple, la matricaire odorante (pineapple weed en anglais), de la famille des camomilles, peut être infusée dans n’importe quelle crème à fouetter. Elle s’accorde aussi à merveille avec le chocolat blanc. Recommandation de la maison : remplacer la mélisse de cette mousse au chocolat blanc par de la matricaire odorante. On peut aussi aromatiser son dulce de leche maison avec des fleurs de mélilot, aussi appelée vanille boréale, qui donne des arômes d’amandes et de vanille à notre caramel. Miam.
Psst. Conseil de pro.
On ne va pas sur le bord de la 20 pour aller cueillir ses orties, ses pissenlits ou son mélilot… Que nenni! Idéalement, pour avoir de « bonnes » mauvaises herbes, on choisit un lieu de récolte qui se trouve un brin à l'écart de toute source de pollution. On évite donc si possible les bords d’autoroutes, les voies de circulation et les craques de trottoir du centre-ville d’une métropole.
Maintenant que la bonne nouvelle est répandue, on cesse d’être aussi terre à terre et on dit oui aux mauvaises herbes dans nos assiettes pour enfin profiter pleinement de ces herbes sauvages, délicieuses et surprenantes. Bonne cueillette!
C'est qui, Dominic Labelle?
Avant de suivre une formation en agriculture biologique à McGill, Dominic Labelle jouissait déjà d’une bonne réputation dans le milieu de la restauration montréalaise. Il est tombé dans la marmite quand il était très jeune, alors qu’il tripait à écouter les émissions culinaires de l’époque. C’est âgé d’à peine 15 ans qu’il a fait ses débuts en cuisine au Saint-Urbain, puis au Pied de Cochon, au Elena et à l’Hôtel Herman, entre autres. - Sa forte stature et son jeune âge lui ont d’ailleurs valu le surnom de « Beau bébé » qui le suit encore aujourd’hui. Il a été nommé révélation de l’année lors des Lauriers de la gastronomie québécoise 2022.