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Les 5 sauces mères revisitées par le chef Monette
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Si on vous disait qu’avec seulement cinq recettes de sauces, vous pourriez faire TOUTES LES SAUCES AU MONDE? (OK… Toutes celles qui émanent de notre côté de la planète, ce qui est quand même tout un arsenal!) Eh oui, en Occident, cinq sauces (espagnole, tomate, béchamel, hollandaise et veloutée) sont les mères d’une variation infinie de sauces. On explique ces classiques et on vous donne des trucs faciles pour les revisiter!
Le chef bien-aimé de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), Jean-Philippe Monette, ne renie pas le concept des sauces mères imaginé par Marie-Antoine Carême, dit Antonin Carême, et Auguste Escoffier. Mais il avoue que depuis le 18 ième siècle, la cuisine a bien changé. Les ingrédients et les techniques se sont modernisés. « Nos modes de vie se sont accélérés. Nos goûts ont évolué. Résultat? Les sauces mères ne mènent plus à toutes les sauces – en tout cas, pas à toutes les sauces dont on a envie. On n’a qu’à penser au chimichurri, par exemple, dérivé des vinaigrettes, un concept inexistant chez les sauces mères. »
Aujourd’hui, Carême et Escoffier seraient fascinés par les mélangeurs, les thermocirculateurs, les siphons, les Vitamix et cie! Certaines sauces mères sont un peu devenues des sauces grands-mères… ce qui est loin d’être un défaut! Humons ces sauces une par une et, sous les conseils du chef, voyons ce qu’on peut en faire dans nos cuisines.
C’est quoi, au juste, une sauce mère?
En gros, les sauces mères sont basées sur le principe de liaison d’un liquide aromatique ou de l’émulsion d’un corps gras liquide : on assemble des ingrédients (jaune d’œuf, farine, beurre ou crème) à une préparation dans le but de l’épaissir et de lui donner de la consistance. Ça en fait plus, mais parfois au détriment du goût, qui se dilue.
À l’inverse, dans nos versions modernes, on concocte des bouillons sensationnels basés sur le principe de réduction, c’est-à-dire qu’on les fait mijoter pendant des heures afin de laisser l’eau s’évaporer pour en sceller la substance. Ça en fait moins, mais le goût devient alors un concentré de saveurs.
1. L’espagnole : la démodée
Elle est composée d’un fond de veau aromatisé à l’aide d’une mirepoix grasse, soit la plupart du temps un mélange de carottes, d’oignons, de céleri, de lard, de pâte de tomates, d’un bouquet garni et d’un roux brun (composé de beurre et de farine). Cette farine, justement, perd son pouvoir de liaison une fois grillée. Alors rebelote la farine! On en met une tonne, ce qui donne une sauce lourde dont on n’a plus du tout envie de napper nos pièces de viande. « Ce style de gravy, c’est out! », confirme le chef. Et même lorsqu’il n’y a qu’un tout petit peu de farine et qu’on obtient une demi-glace, et bien on demeure sur un principe de liaison – et donc, nécessairement, de réduction du goût.
La version moderne que propose Jean-Philippe Monette, c’est la glace de viande ou de volaille. « On fait simplement réduire à 90 % le fond tel que préparé dans la sauce espagnole, mais sans le roux. Par ailleurs, on fait rôtir au four des os de veau ou de volaille – ça s’appelle pincer les os. En ajoutant ces os au bouillon, on verra que le collagène donnera à la sauce cet aspect glacé, de là son nom. Avec de l’échalote et quelques herbes sautées, comme du romarin pour l’agneau, de la sauge ou de l’origan pour le poulet ou du thym pour le bœuf, on aromatise ce petit fond qui reste… et c’est de l’or », lance ce passionné, qui rappelle que pour les grandes occasions, on ne devrait pas se priver de monter ce bouillon au beurre. (Il nous explique justement comment faire à la fin de cet article!)
2. La tomate : l’intemporelle
À entendre le chef de l’ITHQ, c’est sans contredit la sauce la plus excitante, quoiqu’elle se soit bien transformée depuis l’époque d’Escoffier. Finies les mirepoix grasses pour la composer! On ajoute simplement à un litre de coulis de tomates de l’oignon sauté, de l’ail (qu’on ne fait pas dorer, car il devient amer), un peu d’eau (question de rincer la bouteille de coulis), du sel, puis on fait frémir pendant 30 minutes. On clôt le sujet avec une poignée de feuilles de basilic et, si c’est acide, on bonifie d’une touche de miel. Le tour est joué!
Les variantes sont infinies. Le piment fort, l’ail, le vin blanc et le persil viendront clamer all’arrabbiata sur votre menu, ce qui signifie « à l’enragée ». La sauce à la Gigi conserve le duo oignons et champignons, mais exige l’ajout de crème et de prosciutto ou de pancetta en dés. La version alla puttanesca – « à la façon de la putain » – propose d’aromatiser le coulis d’ail, d’anchois, de piments forts, de câpres, d’olives et de pecorino. La légende veut que, dans le port de Naples, ce soient les femmes des maisons closes qui mettaient cette sauce sur le feu pour attirer les clients, de là son nom surprenant.
La tomate inspire Jean-Philippe Monette, qui nous invite à sortir des sentiers battus. « Pensez à cuisiner un poisson blanc dans la sauce tomates ou alors un saumon in acqua pazza : pochez-le dans une eau contenant oignon, vin, eau, coulis de tomates et basilic. Variez avec du poulet pour faire un poulet Marengo! Si on met les tomates au four, avec poivrons grillés, amandes et ail, nous voilà avec une sauce romesco ». Pour le chef de l’ITHQ, la tomate se joue à toutes les sauces.
3. La béchamel : la sauce cachée
La béchamel se concocte sur le principe d’un choc thermique entre le roux et le liquide qu’on veut lier. Il y a donc deux façons de l’aborder : un roux froid sur du lait chaud, ou l’inverse. Le chef confirme que pour les débutants, le plus facile sera d’y aller avec un roux chaud et du lait froid. Le ratio classique : 60 g de beurre fondu et 60 g de farine, ce qui donne 120 g de roux pour un litre de lait.
« La béchamel dans un chou-fleur au gratin, dans un croque-monsieur, dans des cannellonis aux épinards et à la ricotta ou dans un gratin d’endives et jambon fera de petits miracles. Prenez votre meilleure recette de lasagne bolognaise classique, ajoutez-y un étage de béchamel et vous allez rafler tous les concours », affirme le chef Monette!
4. La hollandaise : la sauce technique
Son nom réfère aux Hollandais, réputés pour utiliser, à l’époque, beaucoup de beurre. « C’est un délice, affirme Jean-Philippe Monette, qui rappelle qu’il s’agit d’une sauce plutôt difficile à réussir. C’est le cauchemar des élèves de première année en cuisine! » Nous voilà avertis!
« À la base, on fait un sabayon (4 jaunes d’œufs, le jus d’un demi-citron, 45 ml d’eau auxquels on ajoute 250 ml de beurre clarifié). En le cuisant sur un bain-marie, le défi est de conserver une texture moussante en ajoutant doucement le beurre clarifié. Si on bat trop fort, on obtient des œufs brouillés! » On se le tient pour dit!
Au brunch, c’est la sauce par excellence. Mais le chef la recommande aussi sur une poitrine de canard saignante, sur un bifteck grillé ou sur une sole. Si vous devenez champion et voulez vous lancer dans de multiples modifications, le chef propose un beurre noisette (voir plus bas dans le texte) au lieu d’un beurre clarifié – ce qui donnera plus de caractère à votre sauce hollandaise. « Allez-y aussi avec de l’orange sanguine au lieu du citron, ou avec un ajout de tomates pour en faire une sauce Choron. On peut aussi se tourner vers les sauces de type mayonnaise : des émulsions froides, stables et faciles à réaliser. »
5. Le velouté : l’allié d’une autre époque
En somme, c’est de la béchamel, mais le lait y est remplacé par du bouillon ou par du fumet de poisson, question de soutenir le profil du goût que l’on recherche. « Dans sa version classique, c’est un peu la sauce des plus plates cafétérias », lance le chef! Le velouté beige versé sur du riz blanc, voilà une idée tout droit sortie d’une époque où les Français devaient cuisiner « ton sur ton ». Il reste que sur un vol-au-vent, sur un poulet à la reine ou dans des pâtés au poulet, le velouté a encore sa place. « On ne peut quand même pas toujours réinventer la roue… », lance Jean-Philippe Monette.
Le secret (de la sauce) est dans le beurre
Le chef rappelle que le beurre demeure l’ingrédient magique des sauces. En ajoutant des petits morceaux de beurre très froid à une sauce ou à une réduction, sur feu très doux, on obtient une sauce plus onctueuse. C’est ce qu’on appelle « monter une sauce au beurre ». L’émulsion apporte plus de brillance, d’onctuosité, de densité et de goût.
Pour confectionner un beurre noisette, par exemple, le chef Monette recommande d’utiliser une poêle en inox, et non en téflon. Le beurre chante quand il perd son eau. Les particules de protéine de lait commencent à se colorer – c’est là qu’on arrête notre cuisson avec un jet de jus de citron. Avec son acidité, le citron coupe le gras. On peut aussi penser au beurre blanc, soit une émulsion de beurre froid et une réduction de vin, de vinaigre et d’échalotes.
« Pour les poissons à la meunière, à la mode présentement, on enfarine le poisson et on le sert avec du beurre noisette. On ajoute des dés de citron, des câpres, du persil, des croûtons, et voilà qu’on a une sauce grenobloise. Beurre noisette, beurre blanc, beurre clarifié, beurre acidulé, beurre composé… je pense que le beurre, c’est la vie! » Et le secret d’une sauce, rappelle Jean-Philippe Monette, c’est de l’adapter à ce qu’on aime et à ce que l’on est. C’est un patrimoine important qu’il faut cultiver, en acceptant les changements!